Le 6.8mm, nouveau calibre de référence ?

Une petite révolution s’amorce dans le domaine de l’armement léger : en effet, SIG SAUER (la filiale américaine de l’armurier suisse SWISS ARMS, anciennement SIG) a remporté en avril 2022 le programme NGSW (pour Next Generation Squad Weapons), qui vise à remplacer les fusils d’assaut et les mitrailleuses légères de l’US Army. Mais le plus important est peut-être ailleurs : ce contrat signifie aussi la fin du calibre 5.56 OTAN, remplacé par une nouvelle norme : le 6.8mm.

 

Le temps des adieux pour le M16 et la SAW

Depuis 60 ans, les forces armées américaines sont majoritairement équipées du légendaire fusil d’assaut M-16 et de ses dérivés, dont le plus récent est le M-4A1.

Si ce monopole a déjà été écorné depuis la fin des années 2000 par l’adoption du HK-416, utilisé par les Marines et surtout l’USSOCOM, qui reprochait au M4 son manque de fiabilité, c’est avec les programmes NGSW (-R pour rifle, et -AR pour automatic rifle) que l’US Army va mettre fin au règne de la version militaire de l’AR-15.

Lancé il y a quatre ans, le programme Next Generation Squad Weapons avait pour ambition de déterminer quel serait l’armement individuel du GI pour les trente années à venir. Trois sociétés ont candidaté pour ce marché, mais le Suisse a raflé la mise sur les deux modèles. Le choix est plutôt cohérent, dans la mesure où SIG est déjà, depuis 2017, le remplaçant du vénérable BERETTA 92/M9 avec son P320.

Cette petite révolution ne concerne pas que les fusils d’assaut. En effet, la mitrailleuse légère M-249 (nomenclature US pour la Minimi du belge FN HERSTAL, qui avait révolutionné le combat d’infanterie en imposant une arme automatique chambrée en 5.56) va aussi disparaitre au profit du XM250.

 

Des armes modulables by design

Si ce changement radical ne concerne pour l’instant que l’US Army, il ne fait pas de doute qu’il va influer sur autres armées, par souci d’interopérabilité.

Au passage, les nouvelles armes proposées par SIG imposent aussi un accessoire longtemps resté l’apanage des jeux vidéo : l’inclusion, by design, d’un réducteur de son. Imposé par le cahier des charges du NGSW, il préservera l’acoustique des tireurs, mais fera aussi office de cache-flamme et de stabilisateur. Reste à connaitre la longévité de ce add-on, réputée identique à celle du canon mais dont on peut raisonnablement douter en raison des contraintes…

Le NGSW impose aussi de nouveaux organes de visée et de conduite de tir électronique montables sur Picatinny, censés offrir des fonctionnalités comme le grossissement variable, le télémètre laser, un calculateur balistique. Tous sont d’ores et déjà intégrés au programme et entreront en dotation en même temps que l’arme.

 

Fin de règne pour le « 5.56 » ?

Mais finalement, le changement majeur imposé par les programmes NGSW-R et NGSW-AR est peut-être le moins visible : l’adoption d’un nouveau calibre, le 6,8X51 mm, ou .277 SIG FURY.

Cette nouvelle munition, développée par SIG, a globalement les mêmes dimensions que le 7.62 OTAN, mais offre des capacités balistiques supérieures : plus grande portée, meilleure précision mais surtout capacité de pénétration accrue.

C’était un argument essentiel, dans la mesure où les protections balistiques individuelles se généralisent, y compris pour les combattants irréguliers dans des régions reculées…

 

Espérons que le monde du jeu vidéo va prendre en compte ce changement de paradigme pour offrir des gameplay basés sur une nouvelle famille d’armes, mais surtout un nouveau calibre. En effet, la gestion de ce dernier paramètre a toujours été le parent pauvre des shooters, où le choix de la catégorie d’arme et de la munition importe au final assez peu…

Comment dit-on « wunderwaffen » en russe ?

Le théâtre de guerre ukrainien nous est riche d’enseignements, et notamment sur un point : la réalité de la modernisation des forces armées russes. En effet, ces dernières années, Moscou nous a abreuvé de vidéos d’armes révolutionnaires qui, de fait, ne sont jamais apparues sur le front ! Ce qui pose la question de leur existence en dehors de prototypes présentés comme opérationnels…

Ci-dessus: un BMP-T aperçu en Ukraine. Seuls 10 exemplaires sont en réalité opérationnels.

 

Le concept des « wunderwaffen »

Si nous employons ici le terme wunderwaffe (avec un n au pluriel), c’est bien en référence au concept bien documenté des armes miracles allemandes de la Seconde Guerre Mondiale qui, au fur et à mesure que le Reich perdait du terrain, étaient présentées comme solutions en mesure de changer le cours du conflit.

 

De fait, si pléthores de  wunderwaffen sont restées à l’état de prototype ou simplement de dessin, les Nazis ont aussi déployés de manière opérationnelle les chars Tigre, le premier fusil d’assaut ou les premiers avions à réactions. Or, toutes ces armes n’ont guère résisté aux réalités opérationnelles, (le fameux combat proven),  et n’ont jamais eu d’influence majeure sur le déroulement de la guerre.

Les jeux Wolfenstein exploitent les wunderwaffen, y joutant une dimension occulte.

 

 

Aujourd’hui, nous pouvons appliquer ce concept à la Russie, elle-même héritière d’une URSS qui était aussi coutumière de concepts aussi ambitieux que démesurés comme les Ekranoplanes.

 

La faillite des analystes

Un peu de contexte : durant les années 2000, le Président russe Vladimir Poutine annonce mettre fin à la décrépitude des forces armées russes, lourdement marquées par l’implosion du bloc soviétique. Il lance alors de grandes réformes visant à professionnaliser les armées, et surtout à les moderniser en développant notamment des armes de rupture.

Les nouveau MRAP “Tigr” n’ont pas fait long feu sur le terrain.

 

Les opérations en Géorgie en 2008, en Ukraine en 2014, puis Syrie en 2015, sont de grandes réussites pour Moscou, qui montre alors au monde entier sa puissance militaire et sa maitrise technologique, qui la place sur un pied d’égalité avec les armées les plus modernes. A cela s’ajoutent de grandes démonstrations de forces comme l’exercice annuel ZAPAD, dont les images font le tour du monde.

La communication est efficace, les observateurs convaincus, du moins jusqu’au conflit ukrainien qui dévoile, de fait, les carences militaires de la Russie : en réalité, le gros des troupes est constitué de conscrits et de matériels obsolètes, incapable de résister aux armements modernes. Quant aux troupes professionnelles, elles sont trop peu nombreuses et mal commandées, et les matériels modernes sont soit défaillants, soit en trop petit nombre.

Ou sont les fameux robots Uran-9 ? Ils ont été testés en Syrie, où ils ont connu des défaillances.

 

Пропаганда (propagande)?

Alors, est-ce aller trop vite en besogne que de conclure que la force militaire russe repose aujourd’hui sur des bases technologiques au mieux fragiles, au pire inexistantes ?

Il faut raison garder, mais il faut néanmoins constater que le char Armata est exhibé depuis bientôt 10 ans sans être à ce jour entré en production (video Armata en panne sur la place Rouge), que la si redoutée défense anti-aérienne russe a été plusieurs fois dramatiquement prise en défaut, ou encore que les robots et drones de combat sont absents du théâtre de guerre (alors qu’ils ont été présentés à grand renfort de vidéos), tout comme le fameux BMP-Terminator dont seuls 10 exemplaires sont en fait opérationnels.

 

Durant la 2ème Guerre Mondiale, les wunderwaffen n’avaient, en réalité, pas pour but de vaincre ou terrifier l’ennemi, mais de rassurer la population allemande en lui donnant l’illusion de la superpuissance et de la maitrise des évènements.  Une stratégie visiblement toujours aussi efficace de nos jours, alors que les médias du monde entier s’extasient sur la menace hypersonique ou des concepts aussi farfelus que le missile Satan 2.

La combinaison « Ratnik-3 » présentée en 2018.

 

Dans la pop culture, le jeu vidéo comme le cinéma aiment se créer des ennemis redoutables. Et la Russie a souvent constitué l’adversaire par excellence, en fournissant une puissance militaire hégémonique et redoutable. Il semble temps, aujourd’hui, d’en donner une image un peu plus réaliste, et donc authentique.

La notion de « Combat proven »

Les jeux vidéo et le cinéma sont friands d’armements modernes, voire de prototypes qui sont souvent mis en avant dans les blockbusters ou les AAA. Pour autant, ce vernis d’authenticité militaire est-il, justement, réaliste sur le plan opérationnel ? Rien n’est moins sûr, dans la mesure où beaucoup de ces engins n’ont jamais affronté l’épreuve du feu, et acquis le titre de « combat proven ». 

Ci-dessus: le Rafale, fiable et polyvalent, est l’exemple parfait d’un matériel dont le succès a  été forgé par la preuve opérationnelle –  photo Dassault Aviation.

 

La vérité vient du terrain 

La notion de « Combat proven » (ou en bon français : la preuve opérationnelle) est plutôt simple : elle désigne un équipement militaire a prouvé son efficacité au combat… 

Le désormais célèbre missile Javelin.

 

Cela peut paraître diablement logique, et pourtant, elle ne va pas forcément de soi : beaucoup de matériels militaires n’ont, en réalité, jamais connu de déploiement opérationnel ou de production en série, mais ont fait l’objet d’une active propagande étatique (comme les « armes miracle » russes), ou plus simplement de publicité faite par leur constructeur.  

De fait, l’histoire de la guerre est remplie de matériels vendus massivement à des armées, et qui une fois sur la ligne de front se sont retrouvés aux mieux inadaptés, au pire totalement défaillants, et qui sont pourtant élevés au rang d’icônes. 

On pensera par exemple à la mitrailleuse Gatling, dont le manque de fiabilité était tel qu’elle a été abandonnée moins de 3 ans après son entrée en service, ou les iconiques Tigre allemands qui se trouvaient être, en réalité, de véritables calvaires mécaniques et logistiques.   

Le char Tigre fait l’objet d’une légende erronée.

 

Le meilleur contre-exemple de cette notion est peut-être le Rafale. Longtemps boudé sur les marchés, principalement en raison de son coût, l’appareil a soudainement connu une success story commerciale le jour où l’armée de l’Air a commencé à l’employer massivement pour ses missions, avec fiabilité et réussite (contrairement à son concurrent européen, l’Eurofighter Typhoon, qui en comparaison n’a été que rarement confronté à une mission de combat).  

Au premier plan, un Typhoon britannique. Au second, un Rafale français. 

 

 

Le « Combat proven » et le jeu vidéo 

Alors même que les grands studios invoquent un respect, une précision quant à l’authenticité militaire, qu’en est-il vraiment ? Nous avons déjà largement battu en brèche ce concept dans la gestion de la gestuelle militaire ou certains types d’armes comme les SMG ou les Shotguns, et il en va hélas de même avec les véhicules… En fait, alors que les éditeurs clament travailler avec des spécialistes (et les écouter), c’est avant tout le marketing qui oriente les choix. 

Les Leopard 2 sont redoutables sur le papier, mais l’armée allemande souffre de graves problèmes de disponibilité. 

 

Ainsi, un jeu multijoueur compétitif comme War Thunder, où les joueurs s’opposent en prenant possession de chars, avions ou navires, doit entretenir son système économique free to play en ajoutant sans cesse de nouveaux véhicules, dont des prototypes. Et voilà que l’on s’y retrouve avec des nations dominantes in game comme l’Allemagne contemporaine (un pays qui ne fait pourtant pas la guerre, et qui est donc largement épargné par le Combat proven), ou la Russie (dont les matériels sont étrangement surcotés en raison d’un propagande « vitrine » qui est aujourd’hui démentie par l’expérience ukrainienne). 

La redoutée force mécanisée russe a largement déçu en Ukraine.

 

Ce phénomène touche plus globalement la plupart des Triple AAA, qui s’éloignent de leurs promesses initiales d’authenticité pour jouer sur un effet « badass » et marketing. C’est l’exemple du V-22 Osprey, un appareil somme toute fragile, utilisé à l’outrance sous le feu virtuel, ou bien sûr d’avions des combats de dernière génération (y compris furtif, un non-sens !) que l’on voit virevolter en rase-motte à travers les tirs de DCA. 

Heureusement, le respect de l’authenticité, ou même des spécificités des matériels, est la plupart du temps respecté dans le tactical ou dans la simulation. Si vous cherchez de l’authenticité et du réalisme, c’est donc vers eux qu’il faut se tourner.  

Les exemples de matériels qui font mentir le « Combat proven » sont légion dans le jeu vidéo ou le cinéma. Sur Taisson, nous nous employons à défendre l’authenticité avant tout, pour une meilleure profondeur d’expérience, tant dans le gameplay que dans la narration. N’hésitez donc pas à participer à la discussion ou à nous solliciter pour des conseils.  

Touché-Coulé

La toute récente perte du croiseur Moskva par la Russie lors du conflit ukrainien a remis en lumière le combat naval, et fait prendre conscience au grand public qu’au-delà de la fascination exercée par une flotte de combat, instrument et symbole de puissance d’une nation, un navire de guerre moderne peut encore couler…  Et si le cinéma s’est depuis longtemps emparé du symbole, d’Octobre Rouge à Battleship en passant par Das Boot, le jeu vidéo n’a pas encore pleinement exploité la dimension navale des conflits. 

 Illustration ci dessus: présentation du DLC “Naval Strike” de Battlefield 4 (2014).

 

Un objet vidéoludique complexe 

L’histoire navale militaire passionne car elle est faite d’innovations, d’aventures, de personnalités fascinantes et de batailles tragiques. Tout ce qui est nécessaire à un bon scenario de jeu vidéo… Mais si les combats navals, aéronavals et amphibies ont depuis longtemps investi le domaine des jeux d’action (comme dans les grandes scènes de débarquements de Call of Duty ou Medal of Honor), ce n’est pas ce que recherchent les vrais adeptes de la guerre navale. 

De fait, c’est peut-être la série de jeux de stratégie “Total War” qui a le mieux exploité la puissance des grandes flottes du passé dans ses différents opus. Ainsi, dans Empire, en 2009, les flottes ont une importance capitale dans le contrôle du monde au XVIIIe siècle, et c’est aussi le cas dans les épisodes qui concernent Rome (notamment dans le contrôle du bassin méditerranéen et la lutte à mort contre Carthage) et la Grèce Antique (où mes trirèmes athéniennes sont indispensables à la lutte contre la Perse). 

Assassin’s Creed Odyssey offre quelques moments épiques en mer Egée !

 

Ubisoft avait aussi tenté de rendre compte de la fureur des abordages dans son  Assassin’s Creed Black Flag. Si la gestion de l’artillerie navale est totalement farfelue, avouons que les combats à l’arme blanche se prêtent parfaitement aux assauts sur les ponts des galions espagnols. Origins (2017) et Odyssey (2018) ont tenté de réutiliser la recette (qui aurait pu imaginer autre chose de la part de l’éditeur ?) en la transposant à l’Antiquité, mais le résultat est assez décevant… Espérons que Skulls and Bones, l’arlésienne du jeu de pirate, vienne rectifier le tir ! 

 

La 2ème Guerre Mondiale, un marché à part entière 

S’il est bien une période de la guerre navale surreprésentée dans le jeu vidéo, c’est bien la Seconde Guerre Mondiale. C’est vrai qu’elle offre deux axes scénaristiques majeurs, avec l’avènement de l’aéronavale (avec la guerre du Pacifique et ses affrontements épiques, surtout rendus dans des simulations aériennes) et surtout du sous-marin et de son alter-ego, le destroyer (bataille de l’Atlantique), mais aussi.  

De fait, la série des Silent Hunter (édités, puis développés par Ubisoft) a, depuis presque 30 ans, des fans inconditionnels qui continuent à modder des jeux qui saisissent toujours par leur réalisme et leur technicité. Elle a aujourd’hui des héritiers variés, comme “UBOAT” qui vous permettent, outre de combattre, de gérer l’ensemble de votre équipage dans des sous-marins fidèlement reconstitués. Ou encore “Destroyer – The U-Boat Hunter”, qui proposera bientôt de jouer le chasseur de meutes comme son lointain ancêtre, Advanced Destroyer Simulator. 

Uboat (2019) vous permet de gérer votre équipage de sous-marin.

 

Pour être tout à fait objectifs, n’oublions pas non plus les grands jeux multijoueur à succès comme “World of Warships” ou “War Thunder” ont su rendre accessibles au grand public des affrontements longtemps restés austères. Surtout, ils assurent la transmission d’une certaine culture navale auprès des joueurs.  

On atteint aujourd’hui un niveau de détails impressionnant: ici l’USS Arizona dans War Thunder.

World of warships, rare jeu donnant accès au magnifique cuirassé français Richelieu. 

 

Le combat naval moderne : aussi passionnant que méconnu 

Le combat maritime est donc plutôt à son honneur dans le jeu vidéo, mais il est une période qui reste assez sous exploitée : la période contemporaine, malgré quelques tentatives comme dans “Battlefield 4” 

Et pourtant, elle offre, elle aussi, des scénarios passionnants, avec des flottes à la pointe de la technologie et aux missions complexes, du renseignement à l’extraction de forces spéciales en passant par un conflit à grande échelle. 

Ce désintérêt est peut-être à mettre au crédit des navires de combat modernes, bien moins badass que leurs prédécesseurs cuirassés et bardés de canons, mais qui offrent en réalité une force de frappe bien supérieure avec leurs missiles discrets mais redoutables, et bientôt leurs missiles hypersoniques, voire leurs railguns, initialement prévus pour équiper le destroyer furtif Zumwalt. 

Quelques opus (toujours dans le monde du STR) ont tenté d’inclure le combat naval à leur gameplay et à leur narration, comme “Wargame – Red dragon” (2014), ou le très pointu “Command: Modern Opérations”, un jeu certes austère, mais doté de l’une des bases de données militaires les plus incroyable sur le marché. On peut aussi citer le mythique Fleet Command, édité par le leader mondial de la base de données militaire Jane’s, qui tente à la fin des années 90 de se lancer dans le jeu vidéo. 

La relève est sans doute assurée : “Sea Power”, judicieusement sous-titré “Naval Combat in the Missile Age”, proposera cette année de vous plonger dans une guerre navale fictive de la Guerre Froide. Un parti pris très intéressant, d’autant plus que ce contexte a souvent été la base de techno-thrillers d’anthologie, et notamment ceux de Tom Clancy ! 

Sea Power vous placera dans les années 1980. Et oui, les F-14 Tomcat sont bien présents ! 

 

Espérons que cet article donnera des idées aux éditeurs : ce ne sont pas les scénarios inspirants qui manquent, de la guerre des Malouines à l’opération “Praying mantis”,  fameux affrontement entre les USA et l’Iran dans le Golfe Persique en 1988…   

Les armes hypersoniques

Depuis le 18 mars 2022 et la revendication par la Russie de la destruction d’un dépôt de munitions en Ukraine, le monde est officiellement rentré dans l’ère des armes hypersoniques. Annoncées dans le domaine de l’armement comme LA rupture technologique du moment, elles représentent un défi pour tous les systèmes de défense du monde mais devraient aussi devenir, dans les mois qui viennent, un must-have de tout bon blockbuster, au cinéma ou dans le jeu vidéo…

 

La vitesse hypersonique, c’est quoi ?

Il a fallu environ un demi-siècle à l’aéronautique pour atteindre la vitesse supersonique (soit le passage du Mur du son, à 1 235 Km/h, ou plus communément, Mach 1). Puis, au cours de la Guerre Froide, les deux blocs ont dépensé énormément de temps et d’argent pour rendre avions et missiles de plus en plus rapides.

C’est là, dès les années 50, que des percées sont réalisées sur les statoréacteurs (ramjet): ce type de moteur à réaction permet théoriquement d’atteindre Mach 5 (frontière théorique de la vitesse hypersonique) mais il est incapable de fonctionner à vitesse nulle et ne peut donc être qu’utilisé en complément des turboréacteurs.

Le célèbre Chuck Yeager est le premier homme à franchir le mur du son en 1947, à bord du Bell X-1. 

 

En outre, si c’est le ramjet qui constitue bien la base des recherches sur l’hypervélocité, ce n’est en réalité que très récemment que l’on a pu franchir la vitesse hypersonique, car elle demande une puissance de calcul et des matériaux extrêmement performants qui ne sont apparus que dans les années 2010.

Elle implique aussi de posséder une motorisation spécifique : le superstatoréacteur (scramjet), qui est un statoréacteur à combustion supersonique, permettant d’envisager Mach 15. Problème, il ne fonctionne qu’à partir de Mach 5, ce qui nécessite donc de l’associer, lui aussi, à un statoréacteur…

 

Des missiles toujours plus rapides

Si pour un corps humain, s’envoler à ces vitesses est inenvisageable, des missiles hypervéloces sont, eux, susceptibles de bouleverser les équilibres établis depuis bientôt 80 ans.

La course à l’armement hypersonique s’est donc focalisée autour du design d’un missile de croisière à la fois doté d’une grande vélocité (au moins 6 000 Km/h), et d’une grande manœuvrabilité.

Ces missiles sont potentiellement capables de renverser des rapports de force défavorables, et ce n’est donc pas un hasard si les pays en pointe sur le domaine sont les rivaux des USA : Les Russes se sont proclamés leaders dans ce domaine depuis quelques années déjà (avec le Zircon, ou le Kinjal), et seront probablement bientôt rattrapés par les Chinois.

En outre, les premiers missiles hypersoniques ont été mis au point dans un domaine bien précis : celui des missiles antinavires, parfois appelés “tueurs de porte-avions”.

 

Les planeurs hypersoniques : l’avenir de la dissuasion ?

Les recherches sur les armes hypervéloces ont fait émerger un second concept : celui de planeur hypersonique. Ici, il n’est plus question de frappes tactiques, mais bien de vecteurs stratégiques destinés, en priorité, à emporter des armes nucléaires.

Un planeur hypersonique est, comme un missile balistique ou un lanceur spatial, propulsé de manière conventionnelle dans la haute atmosphère. Mais c’est ce qui se passe après qui est novateur : l’engin, qui file à Mach 20 en trajectoire elliptique, a été conçu pour être extrêmement manœuvrable en plus d’être rapide : sa trajectoire est donc imprévisible, et il est donc en mesure de déjouer tous les systèmes anti-missiles actuels.

Plus encore que les missiles hypersoniques, les planeurs restent l’apanage des plus grandes puissances spatiales : il faut par exemple maitriser la rentrée atmosphérique grâce à un bouclier thermique résistant à 2 000 degrés. Et ici encore, la Russie se veut en pointe avec son Avangard, suivie de près par la Chine.

D’ici quelques années, les USA et un certain nombre de pays européens (dont la France) devraient, eux aussi, disposer de leurs propres armes supersoniques. Ces dernières seront, selon toute vraisemblance, prioritairement montées sur les sous-marins et les navires, tels les destroyers de classe Zumwalt vers 2025.

 

La rupture des armes hypersonique remet-elle jeu la stabilité stratégique ? Difficile à dire aujourd’hui. Mais ces armements font à coup sûr un fantastique sujet pour tout scénario mature et ancré dans la réalité, tant leur avènement est considéré comme un nouveau “moment Sputnik”. 

Le Long Range Desert Group

Des unités spéciales légères, nomades, à qui s’offre un immense théâtre d’opérations : le nouvel opus de la série Ghost Recon ? Hélas non, il faudrait une certaine audace scénaristique et renoncer aux microtransactions ! Nous allons plutôt parler d’une unité mythique dans le monde des Forces Spéciales : le Long Range Desert Group, au cœur de la guerre du désert entre 1940 et 1943.

 

« Panzer rollen in Afrika Vor »

En février 1941, les troupes italiennes basées en Libye sont acculées par la VIIIe armée britannique qui a lancé une vaste contre-offensive à partir de l’Egypte. Elles appellent donc à l’aide les Allemands, qui déploient en urgence un corps expéditionnaire connu sous le nom d’Afrika Korps et commandé par le légendaire général Rommel, qui rétablit rapidement la situation…

A Alexandrie, le quartier général britannique est paniqué, et c’est dans cette période troublée que de petites unités tentent d’apporter des solutions innovantes à la « guerre du désert ». Parmi elles, celle du major Ralph BAGNOLD, un spécialiste du désert qui a passé la majeure partie de sa carrière en Egypte et est imprégné des exploits de Lawrence d’Arabie.

 

Une unité de corsaires

Rommel comparait souvent la guerre dans le désert aux opérations navales, où les points d’eau étaient les ports et les dunes des sortes de récifs largement infranchissables. La reconnaissance et l’effet de surprise étaient donc essentiels.

Pour BAGNOLD, l’idée est donc de créer une unité largement autonome, équipée de moyens légers et capable de mener des opérations de renseignement loin derrière les lignes ennemies. Pour ce faire, il rassemble autour de lui une équipe de francs-tireurs Anglais, mais surtout Australiens et Néo-zélandais, qui développent rapidement un esprit de corps proche des corsaires d’antan en servant la Couronne, mais en appliquant leurs règles.

 

Les rois du désert

Pour survivre dans le désert, les hommes du LRDG s’inspirent de ceux qui y vivent depuis des millénaires : ils tissent des relations étroites avec les tribus bédouines, adoptent leurs vêtements et surtout leurs techniques ancestrales.

Ils innovent aussi sur plusieurs points, et notamment en délaissant les véhicules militaires pour l’iconique Chevrolet 30CWT, un véhicule utilitaire civil qu’ils modifient pour en faire un engin parfaitement adapté à la survie dans le désert pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Avec lui, ils inventent, puis perfectionnent sans cesse la technique du franchissement de dunes, qui leur assure de passer là où les autres s’enlisent. Et enfin, ils inventent le compas solaire, qui leur permet de « naviguer » sur la mer de sable.

Alors que le LRDG est initialement spécialisé dans la reconnaissance, il va très vite passer à l’action armée, sous la forme de raids audacieux, sous l’impulsion d’une autre unité : le Special Air Service de David STIRLING. Les deux unités vont largement coopérer pour devenir le cauchemar des forces de l’Axe en multipliant les sabotages d’aérodromes ou de dépôts de carburant.

 

De bons clients pour le jeu vidéo

La guerre du désert a été relativement bien traitée dans le jeu vidéo : plusieurs wargames y sont consacrés, ainsi que des RTS, comme Desert Rats Vs Afrika Korps (2004) ou plusieurs missions de la légendaire série Commandos.

Pourtant, la plupart de ces jeux font l’impasse sur le fait que la campagne d’Afrique du Nord est aussi très largement marquée par la naissance et l’utilisation intensive, surtout par les Alliés, des premières unités spéciales. A ce titre, un seul jeu a durablement marqué l’imaginaire des joueurs (mais hélas plus pour ses bugs que son gameplay) : Hidden and Dangerous, qui s’inspirait très largement des missions du Special Operations Executive.

On peut donc rêver à un Open World qui rendrait enfin hommage aux LRDG en intégrant le crafting des véhicules, la maitrise des techniques de survie et les aléas de la guerre du désert, tout en bénéficiant d’un scénario historiquement réaliste, comme pourrait l’être un jeu basé sur l’histoire des Stay-Behind…

 

Les Personal Defense Weapons (PDW)

Ni fusils d’assaut, ni submachine guns, les “PDW” font régulièrement l’objet d’une méprise sur leur nature véritable. Et c’est particulièrement le cas pour la Pop-Culture, qui les utilise à outrance en raison de leur look compact et futuriste. Alors essayons aujourd’hui de casser quelques clichés sur ces armes très particulières…

Illustration ci-dessus: un H&K MP7 équipant un opérateur des Navy Seals.

 

Aux origines du concept

Depuis l’apparition des armes à feu, certaines catégories de soldats, comme les marins ou les cavaliers, ont voulu disposer d’armes disposant d’un pouvoir d’arrêt et d’une portée suffisants, tout en étant assez compactes pour s’adapter aux espaces confinés. A la fin du XIXe siècle, c’est dans cette optique qu’apparaissent les premières « carabines », des versions allégées et raccourcies des armes réglementaires dans l’infanterie.

Durant la Première Guerre Mondiale, les combats de tranchées ont également montré que les pistolets semi-automatiques, ainsi que les premiers Submachines Guns étaient largement insuffisants en combat rapproché, car leurs calibres n’étaient pas assez puissants.

Au cours de l’Entre-Deux-Guerres, plusieurs pays travaillent donc à des armes de défense personnelles (ou PDW) compactes mais puissantes pour leurs artilleurs, leurs tankistes, leurs motards ou leurs radios. On considère que le premier modèle abouti est américain : le rustique et fiable M1 Carbine américain, sorti en 1938, sera retiré du service après la guerre du Vietnam…

La Carabine M1 dans “Il faut sauver le soldat Ryan”.

 

Vers une renaissance du concept : le projet APDW

A la fin des années 90, conscient des lacunes de son 9mm parabellum, l’OTAN lance un appel d’offre dénommé APDW (pour Advanced Personal Defense Weapon). Il concerne un nouveau calibre, qui doit être capable de percer protections balistiques et casques à 200 m de distance, mais aussi les armes capables de le tirer, qui doivent avoir un design compact et proche du SMG.

Seuls deux constructeurs relèveront le défi :

  • Le Belge FN Herstal qui présente en 1991 la munition 5,7 x 28 mm, dont la force de pénétration est particulièrement étonnante au regard de sa taille, et qui est destinée à être tirée par deux armes emblématiques : le P90, aux formes futuristes et à l’ingénierie unique (puisqu’il se charge par le haut avec un chargeur en plastique où les munitions sont rangées verticalement) et le non moins célèbre “Five Seven”, le pistolet du Secret Service, mais surtout de Sam Fischer !
Le P90 de l’armurier belge FN Hertal.

 

  • L’allemand Heckler & Koch qui révèle en 2001 le calibre 4,6 x 30 mm, destiné à être tiré par le très compact MP7, qui fait un usage massif des polymères et des technologies largement éprouvées dans les modèles antérieurs de la marque.
Le H&K MP7.

 

Dans les deux cas, il s’agit de munitions complexes à fabriquer (elles ont en fait des répliques miniatures de calibres de fusil d’assaut). Elles sont donc rares et chères !

 

Un concept spécifique ignoré par le jeu-vidéo

Assez curieusement, les PDW modernes ont « raté leur cible » et n’ont jamais équipé massivement les armées occidentales. En revanche, elles sont beaucoup utilisées par les forces spéciales, les unités d’intervention et les acteurs de la protection rapprochée.

Dans la pop culture, le FN P90 est l’arme emblématique de Stargate SG-1 !

 

Pour les autres, les SMG et les calibres de pistolet sont devenus la norme, malgré leurs défauts. Plusieurs versions de fusil d’assaut extrêmement compacts sont aussi venues, ces dernières années, compléter l’offre, et tous usent et abusent de la dénomination « PDW » comme argument marketing.

C’est aussi le cas dans le jeu-vidéo. Si le P90 est un Musthave de la plupart des Shooters et FPS modernes, il est le plus souvent mis dans la catégorie des SMG, qu’il n’est pas. On pourrait par exemple imaginer que son utilisation soit rendue plus authentique par des équilibrages simples, et notamment :

  • Une capacité supérieure de pénétration sur les ennemis équipés de protections balistiques ;
  • Un temps de recharge rendu plus long par la spécificité du chargeur et une gestuelle particulière; 
  • Un nombre de munitions limitées et difficilement trouvables (on ne trouve pas de 5.7 sur les champs de bataille).

 

Dans tous les cas, on peut regretter que la pop-culture en général, et le jeu-vidéo en particulier, ne se donnent pas la peine de mieux connaitre la spécificité de certaines catégories d’armes comme les PDW ou les shotguns, malgré des objectifs affichés de réalisme et d’authenticité. Cela donnerait des jeux tout aussi fun, mais intégrant aussi des notions d’armes spécialisées pour remplir des missions précises.

La Guerre Froide est-elle négligée dans le jeu vidéo ?

Deux hyperpuissances qui se livrent à une compétition permanente dans tous les domaines et sur tous les continents, une course aux armements délirante, des conflits majeurs évités de justesse, et d’autres, plus périphériques, qui deviennent des points de fixation… la Guerre Froide regorge de scénarios qui ont été largement exploités par le cinéma et la littérature. Dans le jeu vidéo en revanche, le constat est bien maigre.

“Theatre Europe”, wargame développé Personal Software Services en 1985 !

 

Quelques périodes historiques et la solution de facilité

On ne prend pas trop de risques en affirmant que le jeu vidéo de guerre se concentre essentiellement sur trois périodes historiques :

  • La Seconde guerre mondiale (dans une vision qui reste, d’ailleurs, très cinématographique et largement inspiré par les films classiques des années 60) ;
  • La guerre « moderne» qui, dans un monde marqué par le terrorisme, fait la part belle aux forces spéciales et aux décors moyen-orientaux ;
  • Les guerres futuristes où tout est possible, mais où on retrouve assez étrangement des gameplay et des armes très actuels.

Dans tous les cas, qu’il s’agisse de nazis, de terroristes ou d’aliens, l’ennemi est assez fédérateur, et permet aux éditeurs AAA de ne pas prendre aucun risque scénaristique ou commercial, même si c’est au prix d’une décrédibilisation de licences auparavant matures et authentiques, et en se coupant peu à peu des joueurs de plus de 12 ans…

Call of Duty Black Ops (2020)

 

La Guerre froide, la grande oubliée

C’est peut-être en effet pour cette raison que la Guerre Froide est peu présente dans le jeu vidéo, surtout depuis qu’il est mondialisé… Il faut une certaine ambition pour poser sa trame scénaristique dans un monde où rien n’est ni blanc ni noir, et où tout est jeu d’ombres.

 Il y a aussi une autre raison, peut-être plus simple : la 3ème Guerre Mondiale n’a jamais eu lieu, et on ne saura jamais comment elle aurait pu se dérouler, sauf dans le mémorable Operation Flashpoint (mais c’était il y a 20 ans déjà).

Et pourtant, elle offre des perspectives fantastiques sur plusieurs points :

  • Le retour du techno-thriller : la Guerre Froide, c’est avant tout un affrontement idéologique où l’espionnage et la technologie ont joué un rôle majeur. Tom Clancy, John Le Carré et des dizaines d’autres auteurs en ont tiré des histoires extraordinaires, qui pourraient sans nul doute être exploitées…
  • Les guerres par proxy : si les deux blocs ne se sont jamais affrontés directement, ils se sont en revanche livré une guerre sans merci sur des conflits périphériques, du Vietnam à l’Angola, en passant par les jungles d’Amérique du Sud. Seul les Call of Duty Black Ops se sont timidement risqués sur ce terrain, mais sans vraiment y porter une vraie attention historique…
  • Les fantômes de la Guerre Froide : les projets fous de la période alimentent encore souvent le cinéma et la littérature, des anciennes bases secrètes aux projets d’armes démentielles comme la Guerre des Etoiles ou les Ekranoplanes. Là encore, le jeu vidéo est en retard, et des recherches documentaires et historiques plus poussées en amont de la production pourraient sans doute y remédier.
“83” de AntiMatter Games, est un FPS qui se catonnera aux grands affrontements multi-joueurs.

 

Une lueur d’espoir venue du jeu indé…

On le dit souvent sur TAISSON, mais les jeux les plus matures scénaristiquement sont aujourd’hui à chercher du côté des petits studios.

En l’espèce, nous attribuerons une mention spéciale au petit mais talentueux studio français Eugen Systems, qui lance dernier épisode de sa série à succès “Wargames”, des jeux de stratégie plutôt exigeants. Le dernier en date, intitulé Warno (pour “Warning Order” dans le langage OTAN) livre une ode aux années 1980, sur un fond musical très synthwave.

WARNO
WARNO

Son choix de placer le jeu à la toute fin de la Guerre Froide est, à notre sens, particulièrement judicieux. A cette époque, les deux blocs sont encore capables de mobiliser troupes et matériels en nombre considérable, et peuvent donc considérer des affrontements massifs. Mais les années 80 sont aussi celles où des armes dévastatrices comme le A-10 sont enfin associées des technologies de rupture, comme l’électronique et les missiles, qui atteignent alors leur pleine maturité.

Dans le même registre du STR, “Régiments”, édité par MicroProse, ou “Broken Arrow” chez Slitherine, tenteront aussi de réinvestir les théâtres virtuels européens en 2022.

Régiments
Régiments

 

Cette capacité à allier technologie, Real Politik et guerres clandestines est unique, et ne peut pas être calquée sur des scénarii « modernes », dans un monde où les réseaux sociaux et les systèmes automatisés nous ont fait rentrer dans une ère nouvelle. Espérons donc que notre appel soit entendu et que d’autres jeux, en particulier solo, osent se saisir de ce fabuleux objet narratif qu’est la Guerre Froide.

 

Les Stay-behind, soldats perdus de la Guerre Froide

Depuis environ 25 ans, séries et films, mais aussi jeux vidéo regorgent de cellules clandestines et d’agents dormants, activés au moment d’une crise ou d’une situation exceptionnelle. On pense bien évidemment à Jason Bourne, mais aussi à Sam Fischer et sa « cellule dissidente » (ou Splinter Cell dans le texte) …

Pourtant, c’est bien en Europe, et au cœur de la Guerre Froide, que s’est déroulé ce qui est sans doute le projet le plus abouti dans ce domaine, même s’il a connu de nombreuses dérives : le programme « Stay Behind ».

The deployment and strength of forces as of 1987.

 

Une situation critique

Dès le début de la Guerre Froide, les stratèges de l’OTAN comprennent que le rapport de forces est très largement défavorable aux Occidentaux en Europe de l’ouest.

La peur des « hordes de chars » du Pacte de Varsovie déferlant sur les plaines allemandes, puis françaises, est prise très au sérieux, et de nombreux scénarii sont élaborés pour tenter de rééquilibrer, un tant soit peu, la balance.

La situation est d’autant plus critique que, dans les années 50 et 60, le Parti Communiste est extrêmement puissant dans plusieurs pays européens. Il est même le premier parti, en termes de voix, en Italie et en France, qui sont d’ailleurs considérés comme les « maillons faibles » de l’Alliance Atlantique, car susceptibles de basculer, par les urnes, dans le camp de l’URSS.

C’est donc assez rapidement, et sous l’égide de la CIA, que se met en place le Coordination and Planning Committee (CPC), une sorte de « club » des services secrets européens, destiné à imaginer la réponse clandestine à une probable invasion russe…

 

L’héritage de la Seconde Guerre Mondiale

Le CPC n’a pas à aller chercher bien loin des idées pour résister à un envahisseur…

Moins d’une décennie plus tôt, les mouvements de résistance ont su prouver leur efficacité en matière de renseignement, de logistique, et en fournissant un appui essentiel aux Alliés, notamment au moment du D-Day.

L’idée est donc de créer des unités de résistance, capable de « rester derrière » (d’où leur nom) les lignes ennemies après la victoire de l’URSS et de ses satellites, avec les mêmes missions (et parfois les mêmes personnes) que contre les Nazis.

De la RFA aux Pays-Bas, de la Belgique au Royaume-Uni, on commence donc à recruter, dans le plus grand secret, de petites cellules qui sont ensuite formées au sabotage, à l’aménagement de pistes sommaires et de zones de parachutage, à l’appui aux forces spéciales ou aux opérations psychologiques. L’instruction à la cryptographique ou au contre-espionnage est, lui, aussi, extrêmement poussé.

Enfin, sont également aménagées, à travers toute l’Europe, des dizaines de planques et surtout de caches d’armes et d’explosifs…

 

Les dérives d’un système trop opaque

En Europe, au fil des ans, le spectre d’une invasion russe s’éloigne… Conscients que la Guerre Froide le restera, plusieurs membres des Stay-Behind commencent à trouver le temps long et décident d’utiliser les techniques et les moyens mis à leur disposition.

Plusieurs d’entre eux versent dans la criminalité de droit commun, d’autres dans le mercenariat ou le trafic d’armes. En France, une partie des Stay Behind se politise et bascule, au moment de la Guerre d’Algérie, d’abord dans l’assassinat ciblé, puis dans l’OAS.

Mais c’est sans doute en Italie, pour les raisons citées plus haut, que se produit la dérive la plus grave (et la mieux documentée) du programme Stay Behind. Chapeauté par la CIA, le projet Gladio (« Glaive ») verra les services secrets italiens récupérer une grande partie de ces unités clandestines, et les utiliser dans une guerre secrète contre le terrorisme de gauche, et notamment les Brigades Rouges.

Rendu public en 1990, le programme Stay Behind est sans doute à l’origine de la plupart des représentations fantasmées qui en sont faites depuis le milieu des années 90. Pour autant, cette histoire n’a, en elle-même, jamais donné lieu à un véritable scénario, historiquement et politiquement cohérent. C’est peut-être au jeu vidéo à s’en emparer, avec un projet ambitieux et une écriture mature…

 

Ready or not… pour la nouvelle référence du tactical shooter ?

Disponible en early access depuis le mois de décembre, Ready or Not (RoN) se présente comme le successeur spirituel à la série SWAT. En proposant une formule à l’ancienne, réaliste et tactique, et des scenarii ancrés dans la réalité, le tactical shooter a réussi en quelques jours à se hisser en tête des ventes de la plateforme Steam sur PC.

 

Le fils spirituel de la série SWAT

Il faut l’avouer, ce jeu aurait pu littéralement s’appeler SWAT 5, tant il rend hommage à la série culte de Sierra, non seulement sur le gameplay, mais aussi sur l’ambiance générale du jeu, car les développeurs de VOID Interactive se donc sont basés sur le quotidien des unités d’intervention américaines.

Ce choix est plutôt intelligent. En effet, contrairement à beaucoup d’autres pays, qui ont choisi de créer des unités d’intervention d’élite et à compétence nationale, les Américains ont laissé se développer plusieurs centaines d’unités SWAT (pour Special Weapons and Tactics). Si certaines sont extrêmement prestigieuses et professionnelles, comme celles du FBI ou des Police Departments des grandes villes, d’autres sont beaucoup plus « rustiques », tant sur les méthodes que sur l’équipement.

Cet ancrage scénaristique se ressent aussi du coté des situations de crises : on est clairement aux Etats-Unis, car il est ici question de laboratoires clandestins de méthamphétamine, de prises d’otages dans un hôtel, ou encore de raid sur la villa d’un narcotrafiquant…

 

Un gameplay rustique et authentique

Assez logiquement, la mission commence par la séquence d’équipement. Ici encore, le choix de s’ancrer dans la réalité des SWAT est percutant : dans RoN, pas de gadgets inutiles ou farfelus : on est sur un équipement classique, que l’on peut trouver dans n’importe quel commissariat américain et qui est parfaitement éprouvé.

Idem pour les armes, qui sont réalistes et toutes en dotation dans les forces de police US. Leur modélisation est fidèle, et le gunplay est suffisamment exigeant pour être “easy to learn, hard to master”. Utiliser la rafale ou le fusil à pompe demandera par exemple un peu d’apprentissage. Mention spéciale au bouclier tactique qui vous sauvera bien des parties !

Ensuite, la mission commence et, comme pour ses lointains ainés SWAT et RAINBOW 6, tout est ici question de progression dans la lenteur et le silence, avec une part importante accordée à la reconnaissance et à l’inspection des lieux. Dans l’esprit d’une intervention policière, il faut donc neutraliser, sécuriser, interpeller et, comme pour ses prédécesseurs, l’usage de la force létale est considéré comme un échec dans RoN.

De fait, la tension est présente à tous les instants et les erreurs ne pardonnent jamais. Et c’est justement là que la coopération prend tout son sens : qu’un membre de l’équipe s’écarte de son rôle en oubliant de surveiller une issue ou de couvrir un angle, et c’est le Game Over assuré, et d’autant plus pénalisant que, d’une partie à l’autre, toute la configuration de la mission varie et que les objectifs et pièges ont changé d’emplacement !

 

Un véritable succès qui devrait interroger les AAA

Un jeu difficile, lent et authentique ? C’est exactement l’inverse de ce proposent actuellement les grands éditeurs, qui multiplient les multi compétitifs aux scénario faméliques et à l’authenticité inexistante.

Pour autant, les joueurs ont-ils peur de ce jeu exigeant ? Il semblerait que non puisqu’il récolte actuellement l’appréciation “très positif” sur la plateforme Steam, et se retrouve en top des ventes. Un succès qui détonne quand, dans le même temps, le mastodonte BATTLEFIELD 2042 connait un lancement absolument catastrophique, et que l’avenir de la licence RAINBOW 6 est loin, très loin, de passionner les foules et continue à piétiner l’héritage de Tom Clancy.

On peut aussi constater que même si le jeu n’est pas parfait graphiquement (il est encore en beta), il est généreux et authentique. Les environnements sombres obligent aussi à utiliser l’ensemble des outils lumineux à disposition (intensificateur de lumière, sticks, utilisation pertinente de la lampe tactique). Et surtout, son intransigeance est un véritable challenge, qui pousse les joueurs à l’excellence comme pouvait le faire, par exemple, les épisodes Rogue Spear ou Raven Shield de la série RAINBOW 6.

On ne peut donc qu’espérer que RoN soit un succès, et marque le renouveau du tactical shooter authentique et punitif. Il y a ici un vrai marché à prendre : celui des joueurs en recherche de jeux réalistes et ancrés dans la réalité, qui restent toujours dans l’attente d’un successeur aux RAINBOW 6 et aux GHOST RECON canoniques, qui les avaient transportés au cœur de crises internationales parfaitement plausibles.