Alex “French SAS” : forces spéciales et jeux vidéo

Alex est un ancien du 1er RPIMa, un régiment d’élite des Forces Spéciales de l’Armée de Terre française, où il a passé l’ensemble de sa carrière de 11 ans sous les drapeaux. Il est, entre autres, spécialiste de Protection Rapprochée, instructeur commando, et moniteur de tir de combat.

Aujourd’hui, il est, en plus d’être un chef d’entreprise dans le domaine de la sécurité privée et de la formation, il est aussi un influenceur très suivi sur les réseaux sociaux, où il donne des conseils aux jeunes qui veulent entrer dans l’armée (n’hésitez pas à regarder ses vidéos et ses interviews, les liens sont disponibles ci-dessous).

Enfin, il collabore régulièrement avec UBISOFT, pour qui il a fait beaucoup de séances de Motion Capture et a donné des conseils éditoriaux.

 

  • Quel est ton rapport au jeu vidéo ? Quels sont tes jeux préférés ?

 

Je suis né dans les années 80, c’était le tout début du jeu vidéo. Quand j’étais petit, je n’avais pas de console de jeux. 

J’ai commencé à jouer vidéo quand j’étais adolescent. Je piquais le PC de mon père pour jouer à HALF-LIFE, COUNTER-STRIKE et STARCRAFT. J’étais surtout fan de FPS, et on jouait en réseau avec les copains à la sortie du lycée, dans des cybercafés où on louait des ordinateurs à l’heure. 

Dans les premiers jeux vidéo que j’ai aimé, il y aussi le premier GHOST RECON, celui de de 2001. C’était des soldats américains contre des milices russes dans les pays d’Europe de l’Est. Dans l’aventure solo, on avait une équipe de GHOST et on pouvait les déplacer sur la tac map et leur donner des ordres. Ce jeu m’avait aussi beaucoup marqué en multi-joueurs car, comme RAINBOW 6, il y avait vraiment un aspect tactique…

Plus récemment, mon jeu préféré a été LEFT 4 DEAD, surtout parce que je suis fan de l’univers zombies. C’est un jeu fait pour être joué en multi-joueurs, où on joue le rôle de 4 survivants en coopération et on doit traverser des mondes infectés de morts-vivants. 

Enfin, depuis deux ans, je me suis lancé dans la Battle royale, et j’ai beaucoup joué à PUBG : ce sont des joueurs qui sont lâchés sur une map et il n’y a qu’un seul survivant. On peut aussi jouer en équipe de 4, ce qui est très sympa. 

Ghost Recon (2001)

 

  • Est-ce que, quand on est un opérateur des Forces Spéciales, on joue en OPEX ou sur ses temps de repos ?

 

Oui, quand on est un fan de jeux vidéo, on arrive toujours à se débrouiller à partir du moment où on a un bon ordinateur, une bonne connexion et des conditions climatiques favorables.

Alors, quand on est 10 sous une tente sans climatisation, avec la poussière et la chaleur, c’est certes un peu compliqué.  Mais quand on est bien installé, ça passe et on a déjà fait des parties endiablées de CALL OF DUTY, qui duraient parfois 4, 5, voire 6 heures. 

 

  • Est-ce que tu as déjà vécu une expérience de jeu réaliste et cohérente avec ce que tu as pu vivre en opérations ? 

 

Oui, il m’est déjà arrivé de nombreuses fois au cours de ma vie de gamer de rencontrer des situations similaires à la réalité des FS.

Par exemple, Dans le jeu FARCRY 2, les armes peuvent parfois s’enrayer. Et bien évidemment, une arme ne s’enraye que lorsqu’on en fait l’usage, donc souvent au milieu d’une mission opérationnelle, et avec une cible hostile en ligne de mire ! Et si on cherche à lui tirer dessus, l’inverse est la plupart du temps vrai !

C’est très cohérent avec mon expérience : au cours de ma carrière j’ai souvent utilisé la MINIMI, une mitrailleuse légère, dévastatrice mais très capricieuse ! Du coup, je me suis aussi déjà retrouvé au contact, à très courte distance et en incapacité de riposter le temps que je règle l’incident de tir… Quand on voit le stress que ca génère devant son écran, je vous laisse imaginer en opération !

Far Cry 2

Autre exemple : dans le jeu ESCAPE FROM TARKOV, la gestion des lampes torches est très réussie, et là encore, cela se rapproche de la réalité, où j’ai pu repérer des hostiles du simple fait d’une mauvaise utilisation de leurs systèmes d’éclairage.

Enfin, dans le jeu GHOST RECON BREAKPOINT, la gestion de la navigation à l’aide d’une tac map sur un open world très vaste est très réussie. Elle nécessite donc, comme dans la réalité, d’étudier sa carte et de choisir le meilleur itinéraire d’infiltration, en tenant notamment compte d’obstacles naturels inattendus ou infranchissables, qui ne permettent pas toujours d’aller en ligne droite. 

Ghost Recon Breakpoint

 

  • Dans une précédente interview, tu as dit que tu avais eu envie de t’engager après avoir vu des films de guerre. Est-ce que tu crois qu’aujourd’hui le jeu vidéo peut avoir la même influence ?

 

Pour moi, les films et les jeux vidéo peuvent avoir le même impact sur les jeunes, mais les jeux vidéo ne sont pas tous réalistes. Quand on joue à GHOST RECON, on n’a pas forcément envie de rentrer dans les FS !

Alors oui, ça peut nourrir l’envie de se dire « j’aimerais bien partir en mission à l’étranger et prendre des risques », mais influencer, c’est un terme trop fort. Ça nourrit les fantasmes mais ça n’influence pas, sauf les gens influençables ! 

C’est plus un symptôme qu’une cause, le jeu vidéo, il nourrit l’imaginaire des jeunes. 

 

  • Est-ce que tu as pu faire passer un peu de ton expérience dans les jeux auxquels tu as participé ?

 

J’ai participé à un seul jeu pour l’instant, GHOST RECON BREAKPOINT. C’était en 2017, et on m’a surtout fait faire de la motion capture. 

A sa sortie, le jeu a été très décrié, à cause notamment de son gamedesign et de nombreux bugs corrigés rapidement par la suite. Pour autant, l’animation est très réaliste, notamment sur la gestuelle ou la façon de se déplacer en tirant. Je suis très content du résultat de mon travail sur cette partie. 

En matière de mécanique de jeu, j’ai aussi fait pas mal de propositions, et j’ai pu préciser des idées imaginées par les équipes d’animation. Pour autant, un jeu vidéo doit rester agréable à jouer et obéir à des règles de gameplay qui font qu’il ne peut pas être totalement réaliste. Donc une partie de mes propositions n’ont pas pu être prises en compte pour des raisons techniques ou scénaristiques.

 

  • Que penses-tu du projet porté par TAISSON, qui vise à donner plus d’authenticité et de réalisme aux jeux ?

 

Le monde du consulting militaire, que ce soit pour le cinéma, la télévision ou les jeux vidéo, est rempli de personnes qui ne sont pas des expertes dans leur domaine, et qui surfent sur le fait que les personnes qu’ils ont en face ne le sont pas non plus. 

Je pense qu’il est donc très intéressant d’avoir des experts reconnus, et regroupés en équipe, pour apporter du réalisme. Il est aussi très rare d’avoir des gens qui connaissent les contraintes de leurs interlocuteurs, en étant par exemple eux-mêmes des gamers, ce qu’est une grande partie de votre équipe.

Alors oui, même si tous les jeux vidéo n’ont pas vocation à être réalistes, les studios qui recherchent de l’authenticité, ou qui veulent simplement éviter de grosses erreurs scénaristiques, doivent savoir à qui s’adresser ! 

Votre projet est novateur et, pour avoir déjà travaillé avec certains membres de l’équipe, je sais qu’il est porté par des professionnels compétents. Alors je sais que ça va marcher !

Le casque tactique

Ces 20 dernières années, les casques de combat on fait d’énormes progrès en termes d’ergonomie et de modularité. Aujourd’hui, ils ne sont plus une simple protection, mais bien un élément central de l’interaction entre le soldat et son environnement. Et pourtant, cette modularité est largement sous-exploitée dans le jeu vidéo, où le casque reste, globalement, un Skin sans grande importance…

Ghost Recon Breakpoint (2019)

 

Un besoin spécifique des Forces Spéciales 

Depuis presque 3.000 ans, le casque est un objet essentiel pour le combattant : il le protège des coups et des chocs, mais lui permet aussi d’affirmer son appartenance à une nation ou à un corps donné.

Au cours du XXe siècle, le casque est un produit standardisé, produit en grandes quantités pour équiper des armées de masse, mais il ne répond pas aux besoins spécifiques, notamment ceux des Forces Spéciales. Ces dernières, qui souhaitent des équipements plus légers et qui préservent leur champ de vision, s’équipent parfois, dans les années 90, de casque de skateboard ou de hockey (comme dans le film « La chute du Faucon Noir »).

 

C’est sur ces modèles de sport, qui laissent les oreilles libres et facilitent les mouvements, que sont réalisés les premiers casques spécifiques aux SF, qui s’imposent vraiment avec le début des guerres en Afghanistan et en Iraq.

 

Une plateforme modulaire

Comme les armes avec le Picatinny ou les équipements avec le MOLLE, les casques sont rapidement standardisés, et deviennent un accessoire extrêmement modulaire grâce à :

  • La généralisation de l’accroche frontale, qui permet le montage rapide des jumelles de vision nocturne, mais aussi de visières spécifiques ;
  • L’adoption de rails, globalement standardisés (mais un peu moins que les Picatinny), qui permettent de montages d’accessoires tels que des lampes, des caméras ou des lasers ;
  • La présence de larges bandes de velcro qui permettent l’ajout de plaques de blindage ou d’accessoires (notamment des batteries).

L’aspect acoustique

 

Cette évolution de forme et de fonction a aussi une grande influence sur l’intégration de systèmes de communication et acoustiques, qui ont considérablement accru l’interaction du combattant avec ses équipiers, et sa prise en compte de l’environnement.

De fait, on peut aujourd’hui adapter sur les rails des systèmes auditifs (casques, oreillettes) qui offrent plusieurs options :

  • La communication tactique : elle peut se dérouler dans de bonnes conditions, quel que soit l’environnement, et facilite donc la compréhension des ordres et la coordination de l’escouade. Les casques modernes permettent aussi la généralisation de l’ostéophonie, processus qui fait passer les sons par les os, et qui libère donc les oreilles ;
  • La protection auditive : des systèmes permettent aujourd’hui une réduction efficace des tirs, des explosions ou des bruits de moteur, pour une meilleure lucidité ;
  • L’amplification sonore : d’abord développées pour les snipers, qui voulaient pouvoir entendre les bruits environnants tout en restant concentrés sur leur tir, les « oreilles tactiques » sont aujourd’hui largement adoptées par les opérateurs, qui peuvent en un instant passer sur ce mode et sélectionner les spectres auditifs (murmures, bruits métalliques…).

On le voit, les casques de nouvelle génération offrent une infinité d’opportunités pour le gameplay, et méritent assurément mieux que de simples skins de personnage. Alors à quand un « helmet smith » aussi complet les gunsmith ? 

les systèmes de vision nocturne

Depuis une vingtaine d’années, le cinéma et les jeux vidéo font la part belle aux jumelles de vision nocturne (JVN). Mais, mis à part quelques expériences visuelles extrêmement convaincantes comme Call of Duty Modern Warfare, très peu s’approchent de la réalité et des limites du système, se contentant la plupart du temps d’un filtre vert calqué sur l’écran…

CoD Modern Warfare (2007)

La nature comme inspiration, la technologie comme solution

Si, depuis la nuit des temps, l’homme a bien compris que voir la nuit procurait des avantages certains, il a aussi dû se rendre à l’évidence : même avec l’aide de  potions magiques et de grigris, il reste l’une des espèces les moins bien pourvues par la nature dans ce domaine !

C’est pourtant la nature qui va inspirer les deux principales solutions technologiques pour « voir la nuit » :

– La vision thermique : comme les serpents (ou le Predator), l’homme va développer des systèmes capables de modéliser des images à partir de zones de chaleur.

Durant la Seconde Guerre Mondiale, Allemands et Américains misent sur des « projeteurs à infra-rouges », systèmes passifs encombrants et énergivores qui préfigurent les caméras thermiques d’aujourd’hui;

L’intensification de lumière : comme les félins, on peut amplifier la lumière présente la nuit (lune, étoiles…) par le biais de tubes chargés principalement de photons, et obtenir ainsi, au travers de jumelles, une image relativement nette et de couleur verte (celle qui fatigue le moins l’œil humain). 

Testée pour la première fois au Vietnam, l’IL sera démocratisée durant la Guerre du Golfe en 1991. Elle est depuis devenue un équipement standard de toutes les armées modernes,  et ne cesse de se moderniser en matière d’ergonomie (il est notamment directement monté sur les casques), de qualité d’image et de champ de vision (FOV).

Les deux technologies ont leurs avantages et leurs inconvénients : le thermique permet de rapidement localiser des cibles, mais pas de les identifier avec précision. l’IL, quand à elle, pose principalement un problème de contraste. 

Le jeu vidéo et les JVN

Il est assez étonnant de constater que certains des jeux les plus marquants de ces dernières années ont fait le choix de la technologie « thermique » pour donner une identité particulière à leur personnage. Nous nous souvenons tous des « tritubes » de Sam Fisher dans Splinter Cell, même si dans la réalité, la vision thermique est aujourd’hui destinée à l’observation et surtout au tir à partir d’un véhicule…

On pourrait aussi faire une liste extrêmement longue des erreurs et approximations relevées dans l’utilisation des JVN dans les jeux vidéo, comme des combats dans des tunnels sans lumière, ou encore une absence de gestion des ombres, pourtant extrêmement présentes dans la pénombre.

Pourtant, c’est peut-être du jeu vidéo que viendra le futur de la vision nocturne. De nouvelles jumelles récemment révélées par l’US ARMY et Google montrent une vision en « fil de fer » qui rappelle le Virtual Boy de Nintendo, mais qui révèle surtout un niveau de détails et d’informations tactiques inégalés.

 

 

 

 

Drones et munitions rôdeuses : les nouveaux Stuka ?

Assez étrangement, le concept du drone kamikaze, aussi appelé « munition rôdeuse », est assez peu répandu dans le jeu vidéo (une exception, l’UCAV de Battlefield 4, uniquement disponible en multi).

 

Battlefield IV (2013)

 

 

Une munition rôdeuse, c’est quoi?

Dans la réalité, le concept n’est pas nouveau, loin de là. Le pionnier en la matière, Israël, le développe depuis les années 2000, notamment avec le HAROP. L’idée est simple : comme un oiseau de proie, le drone peut tournoyer pendant des heures au-dessus du champ de bataille et, s’il voit une proie, fondre sur elle. 

La différence principale entre un drone armé et une munition rôdeuse, c’est que le premier va tirer une munition pour détruire sa cible, alors que le second est lui-même la munition. Et s’il ne trouve pas de cible, il peut être récupéré, reconditionné et utilisé pour une nouvelle mission. 

un drone Harop

Le Nagorno-Karabakh, la première guerre des drones?

A l’automne 2020, le conflit du Nagorno-Karabakh a montré au monde la place que tiendraient désormais les drones « kamikazes », ou munitions rôdeuses.

De nombreuses vidéos montrent la destruction de chars ou de systèmes anti-aériens arméniens par des drones ou munitions rôdeuses azéries. Les HAROP et les BAYRAKTAR TB2 ont été d’autant plus efficaces qu’ils ont été déployés en essaim, et qu’ils ont donc saturé les défenses adverses, anéantissant à eux seuls des positions d’artillerie ou des positions fortifiées.

 

Un drone Azéri filme la frappe de deux autres drones

 

Un Gamechanger de la guerre?

Un drone turc Bayraktar TB2 vu de dos

Depuis le conflit du Haut-Karabakh, l’engouement pour les munitions rodeuses explose, Le marché des munitions vagabondes pourrait tripler d’ici 2030, faisant entrer la « guerre des drones » dans une phase industrielle, qui verra se démocratiser leur usage offensif.

Cette arme sera bientôt de tous les conflits, de la lutte anti-terroriste à l’affrontement entre blindés. Le processus est déjà engagé, les forces armées devront très vite trouver des solutions pour repenser leur défense aérienne et la protection contre les drones, y compris au niveau tactique. 

deux chars arméniens en passe d'être détruits par un drone azéri

 

Une arme de guerre psychologique?

Le drone est massivement rejeté par les populations depuis la « War of Drones » de Barack OBAMA, et la multiplication des frappes (y compris dans des pays où les forces armées américaines ne sont pas présentes) par les PREDATOR et les REAPER. Pourtant, c’est bien au cours du conflit du Haut-Karabakh que le drone est devenu un instrument de propagande et, plus encore peut-être, de guerre psychologique. 

Les témoignages des combattants, mais aussi des civils, font directement allusion aux célèbres « Stuka » de la Seconde Guerre Mondiale, et comparent le bourdonnement des drones à la funeste sirène du bombardier en piqué allemand, sirène dont le but n’était autre que diffuser la terreur.

Que l’on soit sur les plages de Dunkerque en 1940 ou sur les plateaux du Caucase en 2020, il n’y a plus d’endroit pour se cacher, plus de période de répit… le soldat ne dispose plus de liberté de manœuvre, et le civil voit son esprit de résistance brisé. Craignez donc le bourdonnement des drones!